Mots-Clés, agence de communication éditoriale et d'influence

View Original

« La question elle est vite répondue » : mème pas mal  !

Vous l’avez reconnu. Vous vous souvenez peut-être même de son nom, Jean-Pierre Fanguin. Mais finalement le nom de ce youtubeur importe peu. Car le phénomène central n’est jamais l’origine d’un mème, mais le génial dispositif de transmission par imitation qu’il met en place. 

Celui-ci, c’est LE mème francophone de 2020. Dix-mille ? Cent-mille ? Un million ? Plus encore ? J’ai cherché, mais impossible d’évaluer, même de manière approximative, le nombre d’imitations, de parodies, de détournements nés dans le sillage de cette vidéo.

50 nuances de mèmes

Il y a celles et ceux qui ont repris tout le décorum et le speech, à la virgule près ; d’autres qui se contentent de détourner le phrasé ou quelques phrases saillantes. Des marques aussi, qui jamais avares de mème-jacking, ont tenté d’y faire référence en en reprenant des bribes, pour entretenir la relation de connivence à leurs publics. Ainsi, « la question elle est vite répondue » fait désormais partie du patrimoine culturel francophone ; pour combien de temps ? Et surtout, qu’est-ce qui explique son succès ?

L’analyse de ce mème, mais aussi d’autres mèmes populaires que nous lègue chaque année le web social, permet de mettre en évidence 3 ingrédients récurrents du mème.

D’abord, ce qu’on pourrait appeler la faiblesse du coût d’imitation. 

Un mème, ça doit être facile à imiter. Et cette vidéo est l’archétype d’un mème. On y trouve du caricatural, qui attire l’attention de celui ou celle qui la visionne. De nombreuses phrases potentiellement cultes (et reprises ci-dessus dans le petit exercice de style auquel je me suis livré), qui constituent autant de portes d’entrée à la mèmisation. Cette vidéo présente en effet des marqueurs très nets, quelques formulations emblématiques qui agissent comme autant de repères, et la rendent ainsi propice au détournement : « salut à toi jeune entrepreneur », « est-ce que tu préfères… », « Bisous » en fin de vidéo, ou encore la flûte de champagne jeté au milieu de la chaussée. Et bien sûr le fameux « pour moi la question elle est vite répondue ». Autant de repères qui facilitent la reprise par imitation. C’est la règle n° 1 : pour qu’il y ait mème, il faut que le coût d’imitation soit bas. C’est-à-dire que les points d’entrée dans la vidéo ou l’image soient évidents et nombreux. 

Ensuite, cette vidéo n’est pas seulement propice à la mèmisation par ses caractéristiques formelles. Elle est également malaisante, ce qui suscite de l’ironie ou du sarcasme dont les réseaux sociaux ne sont jamais avares. Costume trop serré, arrogance du personnage, exaltation d’une réussite sociale réduite à l’argent gagné facilement. Le tout symbolisé par un 4x4, dans une ère où ces gros véhicules polluants sont plus souvent conspués que désirés. Il n’y a pas de mème sans un sourire, même si celui-ci est le symptôme d’un inconfort. C’est la règle n° 2 : là où il y a mème, il y a souvent gène.

Enfin, et c’est la dernière règle du mème : l’équivoque dans l’intention.

Le Youtubeur à l’origine de cette vidéo est-il sérieux dans son propos ou est-il volontairement outrancier ? Plusieurs indices peuvent étayer la première hypothèse : ainsi, la réaction du cycliste maugréant semble sincère. Selon une enquête du Parisien, Jean-Pierre Fanguin exerce une activité de rabatteur et oriente les personnes intéressées vers une société aux pratiques financières obscures. On peut donc penser que cette vidéo est sincère dans son intention : JP Fanguin veut vraiment recruter par cette vidéo.

Mais de nombreux médias ont aussi relevé que ce n’est pas la première vidéo de ce genre postée par le Youtubeur. Or, le caractère outrancier est encore plus net dans d’autres réalisations, comme dans celle où on le voit écraser un cigare contre la carrosserie d’une voiture stationnée. 

C’est donc une vidéo qui vérifie une loi connue du web social, la loi de Poe. Selon Wikipedia, la loi de Poe décrit le fait que, sur Internet, sans indication claire de l’intention de l’auteur d’un écrit ou d’une vidéo, il est difficile ou impossible de faire la différence entre un propos réellement outrancier et une exagération volontaire à des fins parodiques.

Facile à imiter par ses multiples saillances formelles, suscitant une émotion et équivoque dans sa visée pragmatique : voici les 3 ingrédients qui fondent le mème et les réinvestissements sémiotiques qu’il engendre. C’est d’ailleurs ce que l’auteur de ces vidéos semble avoir lui-même parfaitement compris, en produisant des contenus prêts-à-mèmiser.

Pour les entreprises, la capacité à anticiper les conditions de tels détournements est désormais une composante du succès de ce qu’on appelle le marketing relationnel. La com’ des entreprises sera-t-elle nécessairement mémétique ? 

Voici en tout cas résumée l’histoire du mème de l’année 2020, ou de la question si vite répandue.