L'écriture inclusive est-elle incompatible avec les troubles Dys ?

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Ces derniers mois, l’écriture inclusive a fait couler beaucoup d’encre. « Une lubie », une « offense à la langue », « une arme de guerre », les contestations ne manquent pas. Je vous en parlais d’ailleurs dans un article proposant des arguments pour défendre l’écriture inclusive. De tous les reproches, les réfractaires ont leur favori : l’écriture inclusive serait exclusive, car elle poserait des problèmes de compréhension aux personnes dyslexiques, dyspraxiques, dysorthographiques, dites « dys ».

Rappelons que par le langage, l’écriture inclusive cherche à assurer une égalité de représentation afin d’inclure toutes les personnes indépendamment de leur genre. La question qui se pose est donc la suivante : est-elle excluante pour les personnes souffrant de troubles dys ? 

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Écriture inclusive et dyslexie : le point bloquant

Bien qu’aucune étude n’ait été menée à ce sujet, l’argument selon lequel l’écriture inclusive exclurait les personnes Dys est très souvent utilisé. 

C’est intéressant de voir que lorsque le débat de l’écriture inclusive refait surface, toutes et tous se préoccupent des personnes dys. Selon Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale : « mettre des points au milieu des mots est un barrage à la transmission de notre langue pour tous, par exemple pour les élèves dyslexiques »

Malgré cette préoccupation, force est de constater l’absence criante d’AESH (Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap) dans les écoles pour les personnes porteuses de handicaps. « Si l’inclusion est une promesse, l’exclusion reste aujourd’hui la règle dans les écoles françaises avec ou sans point médian », rappelle Giulia Foïs (source : Pas son genre — Écriture inclusive à l’école).

Lorsque les instances gouvernementales interdisent l’écriture inclusive, elles la résument à nouveau au point médian. Pourtant, on ne le répétera jamais assez : elle recouvre tout un arsenal d’outils, accessibles à toutes et tous, qui permettent l’inclusion. C’est le cas par exemple des reformulations épicènes ou de la double flexion. 

Dans une tribune publiée dans Le Monde, Éliane Viennot rappelle que certains documents administratifs (comme la carte d’identité) utilisent déjà l’écriture inclusive et que jusque-là ça ne posait aucune difficulté. 

Écouter les personnes concernées

Pour les membres du Réseau d’Études HandiFéministes (REHF) : « Il est problématique que des personnes non concernées ne consultent pas ou s’expriment à la place des personnes concernées par le validisme [et] ne considèrent pas la pluralité des discours sur ces débats ». 

Pour le REHF, dire que le point médian gêne l’utilisation des lecteurs d’écran pour les personnes mal ou non-voyantes et qu’il perturbe la lecture chez les personnes dyslexiques revient à « homogénéiser l’opinion de l’ensemble des personnes déficientes visuelles et avec des troubles dys ». Enfin, elles et ils affirment « qu’il existe assurément des handi-e-x-s qui défendent l’écriture inclusive ». 

La Fédération française des Dys (FFD) est plus mitigée quant à l’utilisation de l’écriture inclusive. Elle préconise de féminiser les noms de fonctions, grades et les noms de métiers ainsi que de cesser d’utiliser le mot « homme » pour désigner le genre humain. Cependant, la FFD est plus réservée lorsqu’il s’agit d’user du féminin et du masculin en ayant recours au point médian. 

Pour la FFD, cette dernière convention représente une difficulté supplémentaire pour les lecteurs et lectrices débutant·es n’ayant pas automatisé la reconnaissance des mots. Et « pour lesquels le décodage explicite de chaque syllabe demande un effort considérable d’attention ». L’insertion d’une nouvelle ponctuation constituerait alors un perturbateur des repères orthographiques. 

De fait, elle recommande de prendre en compte les difficultés des personnes souffrant de troubles spécifiques des apprentissages (TSLA) tout en accompagnant l’évolution de la société. Elle conseille également de ne pas exposer les jeunes lecteurs et lectrices à une écriture inclusive tant qu’elles et ils n’ont pas automatisé la lecture. C’est-à-dire pendant le premier cycle d’apprentissage de la lecture (fin de la grande section au CE1).

Si les institutions partagent leur point de vue, sur Twitter des internautes atteint·es de troubles dys s’expriment également. Pour certaines d’entre elles, l’argument de l’exclusion n’a pas lieu d’être. Pour d’autres, il prouve un manque de connaissance et de considération. 

Un témoignage…

… et une piste de réflexion.

Un problème de volonté et de méconnaissance

« L’écriture inclusive ajoute de la confusion dans la conversion entre ce qu’on entend et ce qu’on écrit, le travail de “conversion graphophonétique” étant une difficulté pour les dyslexiques », explique Françoise Garcia, vice-présidente de la Fédération nationale des orthophonistes.

En effet, le problème fondamental de la dyslexie réside dans le décalage entre la phonie et la graphie. Par exemple, dans le mot oiseaux aucune lettre ne s’écrit comme elle se prononce. C’est cela qui rend l’exercice de la langue compliqué aussi bien pour les personnes dyslexiques que pour les personnes qui apprennent le français. De ce point de vue, l’écriture inclusive n’accentue pas nécessairement le problème.

En ce qui concerne le braille pour les personnes malvoyantes, le problème vient des logiciels de lecture qui ne savent pas interpréter l’utilisation du point médian. Pourtant, ces derniers ont intégré que « M. » donne « Monsieur » et que « m2 » se prononce « mètre carré ». Cela relèverait donc de la volonté technique et non de l’impossibilité. 

À ce jour, beaucoup d’études sont en cours de réalisation pour comprendre et connaître le réel impact de l’écriture inclusive pour les personnes Dys. Nous devrions y voir plus clair d’ici quelques années. 

Au-delà de l’argument de l’exclusion, nombre de personnes s’inquiètent pour le patrimoine français. L’Académie française y voit « un péril mortel ». Une atteinte portée à l’héritage de notre langue et de ses grandes figures… Ce à quoi Molière aurait sans doute répondu : « Les anciens, Monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant » (Le Malade imaginaire, II, 6).  

Le débat vous intéresse et vous souhaitez en savoir plus sur l’écriture inclusive ? Excellente nouvelle : Mots-Clés a publié un Manuel d’écriture inclusive dans lequel vous trouverez des informations sur ses fondements et les conventions que nous proposons.