L'écriture inclusive fait-elle vraiment progresser l'égalité ?

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Alors que plusieurs centaines d’institutions et d’entreprises mobilisent désormais l’écriture inclusive (1), définie comme « l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre femmes et hommes », quels en sont les effets observables ?

Ecriture inclusive : les effets individuels

Sur le plan individuel, l’adoption de l’écriture inclusive génère une prise de conscience puissante et intime. Elle permet de comprendre la fonction du langage genré dans les mécanismes de relégation (2). Ce rôle a été examiné à maintes reprises par la psychologie sociale, depuis la fin des années 70 et dans plusieurs contextes.

Markus Brauer en France (3), Pascal Gygax (4) en Suisse francophone, ont montré que le masculin générique grammatical activait des représentations mentales masculines. À l’inverse, les formulations fléchies (« les étudiantes et les étudiants »), épicènes (« les élèves ») ou englobantes (« la population étudiante ») suscitent jusqu’à deux fois plus de représentations mentales féminines que les formulations au masculin (« les étudiants ») (5).

L’écriture inclusive transforme les institutions

Au-delà de cet effet individuel, l’écriture inclusive change aussi les institutions.

D’abord, c’est un outil pour la féminisation des publics. On sait, depuis 1973 au moins (6), que les femmes se révèlent moins enclines à répondre à une annonce de recrutement lorsque celle-ci n’utilise que le masculin dit générique. Et depuis 2005 (7) que l’usage des noms féminins de métiers en langue française augmente le sentiment de confiance en soi des femmes élèves.

Nombre d’établissements d’enseignement supérieur et notamment certains signataires de la Convention d’engagement du HCE (8) font état de l’accroissement des candidatures féminines depuis leur recours à l’écriture inclusive (9). La raison en est simple : recourir à cette forme d’écriture, c’est dire aux femmes que leur place dans la structure est pensée, travaillée, voulue.

Le second effet collectif constatable de l’adoption de l’écriture inclusive est d’approfondir l’ancrage des politiques d’égalité mises en œuvre. « On ne peut pas d’un côté mobiliser l’écriture inclusive et de l’autre tolérer le sexisme de tel manager » ; « Je n’ai jamais été aussi écoutée sur les inégalités salariales que depuis que nous utilisons l’écriture inclusive ». Plusieurs témoignages montrent que, parce qu’elle est engageante, l’écriture inclusive renforce l’impact de celles et ceux qui font progresser l’égalité professionnelle. Alors que notre pays connait encore 23,8 % d’inégalités salariales (10), que 10 ans après la loi Copé-Zimmermann une femme seulement dirige une entreprise du CAC 40 (11), que plus d’une Française sur deux déclare avoir déjà été victime d’agissements sexistes sur son lieu de travail (12), voici un puissant levier pour engager les organisations dans un changement véritable.

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(1) L’écriture inclusive peut être définie comme « un ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes dans le langage ».

(2) Une bibliographie très complète d’articles scientifiques publiés à ce sujet dans des revues à comité de lecture est accessible ici.

(3) Markus BRAUER, « Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales », L'année psychologique, 2008, vol. 108, n°2, pp. 243-272.

(4) Pascal GYGAX, “The masculine form and its competing interpretations in French: When linking grammatically masculine role names to female referents is difficult”, Journal of Cognitive Psychology, Volume 24, 2012 - Issue 4, pp. 395-408.

(5) Harris Interactive pour l’agence Mots-Clés, « La population française connaît-elle l’écriture inclusive ? Quelle opinion en a-t-elle ? », octobre 2017.

(6) Sandra BEM et Daryl BEM, “Doses sex-biased job advertising “aid & abet” sex discrimination”, Journal of applied social psychology, 1973, vol. 3, pp. 6-18.

(7) Armand CHATARD, Serge GUIMONT, Delphine MARTINOT, « Impact de la féminisation lexicale des professions sur l'auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l'universalisme masculin ? », L'année psychologique, 2005, vol. 105, n°2. pp. 249-272.

(8) https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/convention_d_engagement___com_sans_stereo_-. pdf

(9) https://www.motscles.net/blog/quelles-entreprises-utilisent-ecriture-inclusive

(10) INSEE, rapport « Femmes et hommes, l’égalité en question », 2017, p.20.

(11) Au 5 décembre 2020 : il s’agit Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie.

(12) Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS), Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail, octobre 2019.