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Oui, vous avez bien lu. Et non, nous n’avons pas oublié une syllabe (le monogramme, c’est encore une autre affaire) : il s’agit bien de mogrammes, une nouveauté signée Mots-Clés. Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi avons-nous créé les mogrammes ? Vous saurez tout dans cet article.
De l’invention de l’écriture aux signes écrits
Mais d’abord, faisons un détour par l’invention de l’écriture, c’est-à-dire d’un système de notation qui permette l’inscription du langage dans la durée.
Il existe plusieurs théories pour expliquer la naissance de l’écriture. Les plus communément répandues montrent que l’écriture aurait progressivement évolué depuis des représentations picturales de ce qu’on cherche à inscrire (dessin de poisson pour écrire « poisson ») vers des notations abstraites représentant des sons (P.O.I.S.S.O.N pour écrire « poisson »). Pour le dire avec des termes de linguiste : l’écriture aurait évolué d’un système logographique (notations-images) à un système logophonique (notions-sons).
Or, ces thèses sont critiquées depuis les années 1960 (donc, un petit moment quand même) : elles sont problématiques car elles reposent sur le postulat que les écritures fondées sur l’image seraient primitives, alors que celles fondées sur les sons seraient les plus évoluées. Or, il est aussi arrivé qu’un système d’écriture évolue dans l’autre sens. Puis réintègre quelques éléments logophoniques pour créer un système hybride. Et puis, si cette théorie était vraie, tout le monde utiliserait aujourd’hui un système d’écriture exclusivement logophonique, ce qui n’est pas le cas – les sinogrammes chinois étant peut-être l’exemple le plus évident. Bref : il n’y a pas de linéarité dans la façon dont les systèmes d’écriture actuels se sont imposés.
Ce qu’on sait en revanche, c’est que les systèmes d’écriture qui existent ont été et sont toujours extrêmement variés. Ils combinent généralement différents types de signes, qui correspondent à différents usages. On peut classer ces différents signes sur un continuum entre, à gauche, les écritures qui reposent sur l’image, et à droite, les écritures fondées sur la notation d’un son. C’est aussi un continuum qui part des représentations les plus concrètes (signes motivés par une réalité visuelle) aux plus abstraites (signes arbitraires pour noter des sons) :
Voyons comment définir et illustrer ces différents signes :
- Le pictogramme : il s’agit de la représentation directe de quelque chose de concret, en le dessinant. Au-delà du dessin de poisson pour écrire « poisson », pensons aujourd’hui aux signes présents sur les panneaux routiers.
Un exemple de pictogramme : attention, Bambi va peut-être traverser la route !
- L’idéogramme : comme le pictogramme, c’est une représentation imagée, mais la nuance est que celle-ci se rapporte à une idée abstraite et non à un référent concret. Un cœur pour représenter l’amour, une ampoule pour signifier qu’on a une idée, une tête de mort pour nous éviter d’ingérer de la javel… Nous croisons des idéogrammes tous les jours.
Mais au fait, notre panneau Bambi, est-ce qu’il signifie vraiment “biche” ? Ou est-ce qu’il nous renvoie à l’idée que “des animaux divers et variés risquent de traverser la route devant vous” ? On s’aperçoit ici que la nuance entre le pictogramme et l’idéogramme est parfois ténue. On peut aussi penser aux émojis, qui représentent des émotions de manière parfois très littérale, et d’autres fois plus figurée : l’émoji qui “pleure de rire” est-il un pictogramme ou un idéogramme 😂 ? La question est plus vite répondue pour celui dont le cerveau explose devant une nouvelle incroyable 🤯. Pour éluder le problème, on peut parler de logogramme, appellation désignant tout signe fondée sur une représentation imagée (d’une chose concrète ou abstraite).
- L’idéophonogramme : là, il s’agit d’un signe hybride. À la fois fois idéogramme parce qu’il représente une chose abstraite de façon imagée, il comporte aussi élément de notation phonique, qui se rapporte à sa prononciation. Ainsi, certains sinogrammes sont des idéophonogrammes. Par exemple :
Source image : https://chine365.fr/culture/caracteres-chinois/ (refaire une image Mots-clés ?)
Légende : Le mot maman en chinois comprend un caractère qui se rapporte au sens (“femme”), et un caractère qui se rapporte à la prononciation du mot (similaire de à celle de “cheval”).
- Le phonogramme : notation abstraite représentant un son, le phonogramme est la notation qui compose entre autres notre alphabet latin.
Légende : un résumé de la situation
Et le mogramme dans tout ça ?
Un alphabet signé Mots-Clés : les mogrammes
En 2025, l’agence Mots-Clés se dote d’une nouvelle identité graphique. Et avec elle, de petits signes inventés pour l’occasion : les mogrammes.
Formellement, l’idée est la suivante : chaque expertise de Mots-Clés est représentée par un signe original, composée d’une illustration imagée (donc, un pictogramme ou un idéogramme) combinée avec la première lettre de l’expertise en question. Ce sera peut-être plus parlant en image :
Légende : le mogramme qui se rapporte à l’expertise éditoriale de l’agence combine un idéogramme représentant un livre et la lettre “E”.
Alors, comment classer le mogramme sur notre échelle de signes ? Combinant une représentation abstraite avec la première lettre du mot représenté, il est une sorte d’idéogramme imparfait, mais pas tout à fait idéophonogramme non plus (la première lettre ne correspond pas forcément à un son : imaginons le cas d’un mot commençant par « H ») : nous pouvons donc le placer entre ces deux types de signes.
Maintenant que nous avons posé le « comment », quelques mots sur le “pourquoi” : qu’est-ce qui nous a poussé·es à créer les mogrammes ? À quels usages ces signes répondent-ils ?
Une histoire des expériences linguistico-graphiques chez Mots-Clés
Il faut commencer par une petite historiographie des pratiques innovantes mêlant langage et représentations visuelles à Mots-Clés. Comme son nom l’indique, l’agence a été créée avec une conviction sur le pouvoir des mots. Et depuis ses premières années, elle mène régulièrement des expérimentations autour de cette thématique, à la fois sur l’aspect sémantique et visuel. On peut en citer trois :
Lors d’un atelier de fin d’année à l’agence, un petit exercice ludique est proposé aux participant·es : inventez un signe de ponctuation qui vous ressemble. Ce jeu évoque les expérimentations artistiques menées par différentes personnalités créatives, avec le point exclarrogatif, le point d’ironie ou encore le “point de dépit mêlé de tristesse” proposé par Olivier Houdart et Sylvie Prioul. Comment classer les signes de ponctuation sur notre continuum ? Les scientifiques sont partagé·es, mais on peut souligner après la linguiste Myriam Ponge leur “qualité idéogrammatique” indéniable, puisqu’ils renvoient à des opérations (non)verbales (par exemple, marquer une pause dans le lecture lors d’un point final).
Légende : Point exclarrogatif, point d’ironie et point de dépit mêlé de tristesse
Les emojis, dont on a vu qu’ils sont parfois difficiles à classer et qu’ils peuvent se rapporter à des idéogrammes ou des pictogrammes, ont été explorés par Raphaël Haddad dans un article pour FUTUR, le magazine d’Usbek et Rica. Entre sens connotatif et expression des émotions, l’émoji atteste d’une évolution de la communication corporate, qui aspire à des interactions plus personnelles avec ses publics.
L’écriture inclusive est quant à elle un projet qui a pris une plus grande ampleur à l’agence, qui a investi ce sujet depuis 2016 jusqu’à ce jour, avec notamment la publication d’un ouvrage collectif aux éditions Le Robert dirigé par Raphaël Haddad, et une thèse CIFRE en cours menée par Jana Rameh. Le rapport avec notre sujet ? Définie comme “un ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes dans le langage”, l’écriture inclusive propose ainsi d’ajuster le système de notation du français à l’écrit de manière à rendre les femmes plus visibles. À ce titre, le point médian peut être considéré comme un idéogramme, puisqu’il signifie une opération verbale consistant à décliner le masculin et le féminin à la lecture (“écrivain·es” étant lu à l’oral comme “écrivaines et écrivains”).
Le mogramme : quel sens, quels usages ?
Comment le mogramme s’inscrit-il dans la lignée de ces pratiques créatives ? Revenons au contexte de cette proposition : dans le cadre d’une refonte graphique de l’identité de l’agence, notre directrice artistique Morgane Chambrion a proposé un ensemble de signes destinés à matérialiser visuellement les différentes expertises de l’agence. En particulier les trois piliers qui forment notre positionnement : identité, éditorial et conception de campagnes. Première utilité donc : valoriser ces expertises en leur attribuant un tampon, équivalent d’un logomarque.
Au-delà d’une pure fonction de signalisation, il s’agit d’offrir un système visuel adapté aux différents usages des consultant·es de l’agence. Cette notion de système provient de l’UX design : on parle de design system pour désigner un ensemble cohérent d’éléments stables formant la clé de voûte d’une identité graphique et s’appliquant à des environnements numériques prédéfinis. Grammaire visuelle, alphabet graphique : les mogrammes forment finalement un langage à part entière (avec très peu de mots, certes, mais un langage quand même !). Pour quels usages ? Pensé pour être utilisable à la fois sur les supports web, print et en motion, l’alphabet mogramme peut venir habiller les différents supports de communication de l’agence, qu’ils soient destinés à l’interne ou à l’externe (site web, références clients, vidéos créatives…). L’idée est finalement de pouvoir représenter la diversité de nos expertises, mais sans perdre en cohérence graphique.
La cerise sur le gâteau : en tant que signe à la fois graphique et lexical (puisqu’il combine image + lettre), le mogramme signifie aussi la combinaison de nos deux métiers. Plus lisible qu’un idéophonogramme, mais avec un élément lexical plus marqué que dans un simple idéogramme, c’est une manière d’illustrer nos expertises qui met au travail nos deux métiers : les mots et les images !
Références :
BNF. Les différents systèmes d’écriture. Site web : https://essentiels.bnf.fr/fr/livres-et-ecritures/les-systemes-ecriture/7ec9c7b0-06c3-4894-8869-55a9389b29d5-quest-ce-quun-systeme-ecriture/article/c3fa8ec0-ad76-4828-994a-036738948d4c-differents-systemes-ecriture
Glassner, J.-J. (2019). Chapitre III. Les idées reçues : l’origine pictographique de l’écriture cunéiforme. Écrire à Sumer : L'invention du cunéiforme (p. 69-86). Le Seuil. https://shs-cairn-info.srvext.uco.fr/ecrire-a-sumer-l-invention-du-cuneiforme--9782020385060-page-69?lang=fr.
Ponge, M. La ponctuation : lieu de (re)motivation iconique, Cahiers de praxématique [En ligne], 64 | 2015, mis en ligne le 28 décembre 2015, consulté le 16 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/praxematique/4002
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