Carnets de recherche est une série de publications réalisées par notre responsable scientifique, Amina Belhadj.
Vous êtes plutôt Apple ou Desigual ?
Dans le cadre de notre réflexion sur l’esthétique de la sobriété, je me suis intéressée aux liens entre esthétique et cadre professionnel. Et j’ai trouvé l’ouvrage parfait pour cela : Pouvoir faire un beau travail, de Jean-Philippe Bouilloud, qui décrit l’évolution de notre expérience esthétique au travail. Je vous partage ici une idée issue de l’ouvrage.
Si l’on a longtemps opposé « beau » et « utile » dans le domaine productif (pour résumer : fonctionnel = utile VS beau = ce qui se trouve au-delà de la fonction = inutile), l’ère industrielle a fait voler cette idée en éclats. Avec le développement du capitalisme aux XIXe et XXe siècles, le critère esthétique est devenu un moyen de grignoter des parts de marché : faire beau, c’est faire potentiellement premium, donc plus cher.
On passe ainsi à un nouveau clivage, qui reconfigure les rapports entre « beau » et « utile » :
Première école : le beau et l’utile vont de pair. C’est par exemple la démarche de Steve Jobs avec Apple : le geste esthétique accompagne la réflexion sur les fonctionnalités, dans une logique de design. In fine, on est dans une logique minimaliste parce que tout ce qui est utile est beau, et ce qui est beau est utile.
Seconde école : le beau est de l’ordre de l’ornement, il vient s’ajouter à utile. L’ornement a toujours été un cas limite du jugement de goût : excessif, vulgaire et périmé, bref, kitsch et superflu. Vous vous souvenez peut-être des commentaires condescendants dont fait parfois l’objet la marque Desigual ? Or, cette couche esthétique est loin d’être « gratuite » : elle a des fonctions communicationnelles. L’ornement d’un bâtiment — ou son absence — communique sur le point de vue de ses commanditaires : les monuments en sont des exemples, comparez l’Arc de Triomphe et la Tour Eiffel. Jean-Philippe Bouilloud le résume ainsi : « L’ornement est donc esthétique (allégeance à une tradition ou, à l’inverse, affirmation d’un art nouveau), social (montrer à la société ce qui est fait “ici”), voire politique (véhiculer des valeurs, un programme, défendre un point de vue). »
Comment ces deux orientations pourraient-elles nous aiguiller sur la définition d’une esthétique de la sobriété ?
Option 1 — la plus intuitive : une esthétique sobre est une esthétique qui doit limiter l’utilisation de ressources : tout ce qui vient au service de l’esthétique doit aussi soutenir une utilité fonctionnelle.
Option 2 — « j’en ai marre du beige » : l’ornement, largement écarté des critères esthétiques modernes, pourrait revenir en force pour nous aider à forger une esthétique de la sobriété qui serait véritablement désirable. Comment dès lors intégrer ces ornements à une démarche de limitation des ressources ?
Et vous, vous êtes plutôt team minimaliste ou ornementaliste ?