Cet article a été initialement écrit pour notre newsletter, “Sésame”, par Solène Thomas.
En 2024, la loi Toubon a fêté ses 30 ans. Destinée à protéger le patrimoine linguistique français, elle vise surtout à assurer la primauté des termes francophones face aux anglicismes. (NB : à l’époque, les détracteurs la surnommaient ironiquement la loi AllGood – savoureux, non ?)
Las… 30 ans après, le constat est sans appel. Le ramdam n’a jamais su s’imposer face au buzz, pas plus que la mercatique face au marketing.
(En même temps… “mercatique”, quoi)
Les Québécois·es sont très fort·es pour préserver le français. Ils disent pépites au lieu de nuggets (mais flashers pour clignotants – chacun·e ses contradictions). Ils traduisent aussi tous les titres de blockbusters, pardon de super-productions américaines. Saurez-vous reconnaître Rapides et Dangereux, Les Yeux grand fermés ou encore Fiction pulpeuse ? Y’a pas à dire, outre-Atlantique, on ne plaisante pas avec la langue française !
Et chez nous ? Commandée par le Ministère de la Culture et menée il y a un an par l’agence Harris interactive France, une nouvelle enquête sur le rapport des Français·es à leur langue montre avant tout un fort attachement au français. Notre langue est unanimement décrite comme belle et complexe. 50% des répondant·es considèrent que la place du français dans le monde est menacée. En parallèle, 83% des Français·es estiment que les mots et expressions issus de langues étrangères (comme l’anglais) sont en augmentation dans l’espace public : publicité, slogans, affichages, médias…
Quant à savoir si ces anglicismes dans l’espace public sont une bonne chose, les avis sont partagés, montrant avant tout un clivage générationnel.
Résultat de l’enquête Toluna x Harris Interactive pour Ministère de la culture, novembre 2024
Les jeunes se montrent les plus favorables à l’utilisation de mots étrangers, y voyant (notamment) une adaptation aux enjeux de notre époque et une façon de diversifier nos moyens d’expression.
Si on y regarde de plus près, il faut bien reconnaître avec honnêteté que les anglicismes “pénibles”, c’est comme les défauts : on les voit surtout chez les autres… Car honnêtement, qui peut se revendiquer de la pureté linguistique ?
Certains anglicismes sont inévitables : qui irait manger un hambourgeois dans un établissement de restauration rapide ? ou faire une partie de balle au pied ?
Au-delà de cette catégorie, on peut considérer que tous les anglicismes sont en concurrence avec un équivalent français qui existe (usité ou non). Les emprunts se situent alors sur un flux graduel allant de “parfaitement intégré et accepté” à “vraiment pas nécessaire”.
Au début du spectre : le parking, ou encore cette… newsletter, qui pourrait certes s’appeler infolettre.
Puis plus on monte, plus on arrive dans le jargon professionnel, notamment technologique. “Peux-tu uploader le reporting sur le drive ?” (asap, évidemment ?) Le plus inattendu que j’aie entendu, en start-up : “Ce projet devait sortir next quarter, mais j’ai lacké de temps.”
La… LACKÉ ?
Désolée, cela ne m’évoque pas autre chose qu’un canard.
Si on fait un petit examen de conscience, chez Mots-Clés, on pourrait dire qu’on utilise un peu d’anglicismes, mais pas trop. Certes, on remplit des timesheets et on utilise un drive ; mais on fait plutôt des visios que des calls, des réunions plutôt que des meetings, et surtout, surtout : on est une équipe, et pas une team.
On peut en revanche considérer comme plus fourbes les anglicismes qui se déguisent en français, et dont l’usage monte à vitesse grand V. Ces tournures très récentes calquent l’anglais. Quelques exemples ?
- Quel est ton point ? (pour “que veux-tu dire”)
- Délivrer un produit (pour “livrer”)
- Dû à (pour “à cause de”)
- Il n’y a pas de sujet (pour “il n’y a pas de problème”)
- Adresser un problème (pour “aborder un problème”)
En tout état de cause, on rappellera que la langue est vivante et que de tout temps, l’anglais et le français ont échangé des mots comme on troque des cartes Pokémon à la récré. Deux exemples savoureux : bigot vient de l’anglais “By God !”, tandis que “mayday !” vient de l’expression “venez m’aider !”.
Alors bon, après, le canard lacké… pourquoi pas, finalement ?