Égalité des sexes : le français est-il une langue neutre ?

langue neutre et égalité femmes / hommes

Illustration : Marie-Clémence Bourgeois

« En français, le masculin fait le neutre ». C’est ce qu’affirmait le Président de la République lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, en octobre dernier. 

Vous avez sûrement déjà entendu dire que le français était une langue neutre. Que le masculin était « générique », ou encore que son emploi n’avait aucune influence sur les inégalités entre les sexes.

Mais est-ce bien vrai ? D’où viennent ces informations ? Nous vous proposons de revenir sur ces affirmations et leurs origines. 

Temps de lecture : 3,5 minutes 

Le genre neutre en français : illusion ou réalité ? 

Pour faire bref : le genre prétendument neutre en français est une chimère née des pratiques androcentrées du XVIIe siècle

Plus précisément, l’adoption du masculin dit générique remonte à l’année 1767, lorsque Nicolas Beauzée, grammairien français, membre de l’Académie française, affirmait : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (BEAUZÉE, 1767). La « noblesse » de ce genre sera ensuite formalisée avec Grammaire nationale (BESCHERELLE, 1834), qui officialisera également sa neutralité.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons un point de linguistique comparée. Selon le Groupe de travail sur l’égalité des genres et la diversité au Parlement européen, il existe trois types de langues :  

  • Les langues caractérisées par le genre naturel

C’est le cas de l’anglais et du suédois, par exemple. Dans ces langues, les noms d’agent (celui ou celle qui fait l’action) ne sont pas genrés. 

Ex : “police officer”, qui n’est ni féminin, ni masculin. 

En revanche, lorsqu’il s’agit de désigner des personnes, on utilise des pronoms personnels genrés.

Ex : “She” / “He”

  • Les langues dont le genre est grammatical. 

C’est le cas des langues romanes, dont le français fait partie. Dans ces langues, chaque agent, qu’il soit un objet ou une personne, possède un genre 

Ex. : LE policier, LA policière.

  • Les langues sans genre (comme le finnois ou le hongrois). 

Elles n’ont ni genre grammatical, ni genre pronominal. Les pronoms masculins et féminins comme « il » et « elle » n’existent pas. 

Revenons au français. Il est maintenant clair que le « genre neutre » n’existe pas. 

Notons qu’il existe tout de même des mots épicènes, c’est-à-dire qu’ils ont la même forme au masculin qu’au féminin (par exemple : un bagagiste, une bagagiste). 

Nous vous avons d’ailleurs concocté une liste de mots épicènes ici. 

Le masculin est donc utilisé à la fois d’une manière générique et spécifique. Il désigne à la fois les personnes de genre masculin et les humains. Le féminin, lui, n’est utilisé que de manière spécifique, puisqu’il renvoie seulement aux personnes de genre féminin.

Mais cela ne signifie pas que le masculin a une valeur neutre ! Ce masculin dit « générique » est non seulement excluant, mais également porteur d’ambigüités. Il nous pousse en effet à plus d’interprétations sémantiques pour comprendre quelle valeur est employée. 

Ainsi, comme le rappelle Éliane Viennot, autrice de Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! :

Le français est une langue à deux genres. Tous les noms sont soit masculins, soit féminins .
— Eliane Viennot

Comment cette « langue neutre » influence-t-elle les inégalités de genre  ? 

Cette prétendue neutralité est d’abord un reflet de la supériorité masculine. Le Haut conseil à l’égalité nous explique cela dans son Guide « pour une communication sans stéréotype de sexe » :

L’usage du masculin n’est pas perçu de manière neutre, en dépit du fait que ce soit son intention, car il active moins de représentations de femmes auprès des personnes interpelées qu’un générique épicène.
— Haut Conseil à l'égalité femmes - hommes

Autrement dit, lorsque l’on utilise une formule épicène, on se représente plus de femmes que si l’on utilise le masculin « générique ».  

La langue joue par exemple un rôle important dans les discriminations femmes - hommes au travail. En 2012, trois chercheur·es américain·es ont réalisé une étude pour démontrer le lien entre grammaire et genre. Les résultats ont prouvé que plus la langue dominante d’un pays est genrée, moins les femmes étaient représentées sur le marché du travail

Avoir un système sexospécifique basé sur le sexe diminue la participation de la main-d’œuvre féminine de 12 % par rapport à l’absence de système de genre.
— Victor Gay, "Does language shape our economy?", 2012

En ce sens, une langue employant le masculin dit générique augmentera les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.  

De manière plus large, l’étude souligne l’impact de ces deux facteurs sur « notre cadre cognitif, la formation de stéréotypes et la catégorisation de l’environnement social » (GAY, 2012). La langue agirait donc sur nos représentations mentales.

La langue est donc un outil pour la féminisation des publics. En ce sens, elle constitue un instrument non négligeable pour atteindre l’égalité femmes-hommes. 


Vous souhaitez contribuer vous-même à l’instauration de plus d’égalités entre les sexes ? Cela commence par l’adoption d’un langage plus inclusif. 

Vous vous demandez comment ?

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