Présidentielle 2022 : la clarté absente du débat de l'entre-deux tours ?

Clarté débat Macron Le Pen

Ce mercredi 20 avril marquait le point culminant de la campagne présidentielle de 2022. Les deux candidats finalistes du premier tour de la présidentielle, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, se sont affrontés dans le seul débat de cette période électorale. Projet contre projet, les deux débatteurs ont tout fait pour se démarquer l’un de l’autre. Quitte à faire primer les formules toutes faites et invectives… au détriment de la clarté.

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L’importance de l’accessibilité de la forme… et du fond

L’information, pour qu’elle soit bien perçue et reçue par l'ensemble de son public, doit réunir deux contraintes : être accessible sur la forme et claire sur le fond

La rendre accessible sur la forme, c’est permettre que n’importe qui, indépendamment de sa situation, puisse facilement y avoir accès. La rendre claire sur le fond, c’est faire en sorte qu’elle soit compréhensible sans effort par l’intégralité de son public. Cela vaut donc autant pour l’image que pour le propos de celles et ceux qui apparaissent à l’écran.

Handicap, troubles dys : une campagne présidentielle qui manque d’accessibilité

Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a souligné à de nombreuses reprises le manque d’accessibilité de cette campagne présidentielle. Salles non équipées pour des fauteuils roulants, meetings non sous-titrés, discours non traduits en langue des signes (LSF), programmes non transcrits en Facile à Lire et à Comprendre (FALC)... C’est pourtant un droit que d’être à égalité face à la vie de la cité, tout comme il est un devoir de rendre pleinement accessible chaque événement électoral en France. 

U31 est spécialiste en Langage Clair, une méthode d’écriture qui permet de rendre l’information claire et compréhensible pour le plus grand nombre. Après l’analyse de la clarté des 12 professions de foi à l’élection présidentielle, de très grandes disparités apparaissent. En particulier, la profession de foi d’Emmanuel Macron est arrivée à la 6ème place sur les 12 candidats tandis que celle de Marine Le Pen est classée avant-dernière.  Qu’a-t-il alors été de la clarté de ce débat ce mercredi soir  ?

Le débat d’entre-deux tours : l’accessibilité, très peu pour moi

On nous annonçait juste avant le débat que la candidate du Rassemblement National allait porter une “veste rose pâle”. Elle s’est en réalité présentée vêtue de bleu sombre. La différence entre ce que devrait être une émission accessible et ce qu’a été ce débat est tout aussi contrastée. 

Nous avons certes pu compter sur la présence de deux interprètes en langue des signes (LSF) incrustés de chaque côté de l’écran. Pour autant, certaines erreurs, bien que signalées par l’ARCOM et la CNCPH, en ont compromis la portée :

  • Chaque incrustation occupait moins d'un cinquième de l’écran. Or, pour être réellement compréhensibles, elles auraient dû occuper au moins un tiers de l’image

  • Les interprètes étaient cadrés à la taille. Or, ils auraient dû être cadrés aux cuisses, en “plan américain”, pour une meilleure visibilité des gestes.

  • Le fond derrière les interprètes était transparent. Or, il aurait fallu qu’il soit opaque, pour mieux distinguer leurs mouvements.

Outre ce manque de soin apporté à l’accessibilité au niveau de la forme, ce débat a parfois manqué de clarté, d’accessibilité sur le fond. 

C’est pas clair tout ça 

Dans un débat où les questions de handicap n’ont pas été abordées une seule seconde, la clarté des discours a, elle aussi, pu laisser à désirer.

Des invectives aux formules floues

Le débat a globalement été calme et courtois, malgré les quelques coupures de parole et superpositions de voix qui n’ont pas rendu service à la clarté des propos.

Dans leur style de discours et entre deux invectives, les candidats ont souvent fait le choix d’énumérations interminables ou de mots bateaux qui n’ont pas relevé le niveau de clarté du débat :

Marine Le Pen, entre les “euh” et autres hésitations qui ponctuent ses interventions, se lance dans des tirades face à Emmanuel Macron. Elle veut être  “la présidente du régalien, de la souveraineté, de la sécurité, du pouvoir d’achat, de l’école, de la santé, de l’assimilation républicaine, mais aussi de la promotion sociale, de la justice, de la fraternité nationale, de la paix civile…” pour permettre aux Français de “se projeter ensemble dans l’avenir”. 

À travers une telle envolée, elle souhaite donner un sentiment d’exhaustivité du programme. Pourtant, les énumérations sont les ennemies de la clarté : on ne rentre jamais dans le fond et l’information est à la libre interprétation du public, donc mal reçue.

Le président sortant, quant à lui, s’il est moins hésitant sur ses prises de parole, a le regard fuyant et semble énervé. Il a comme sa rivale, le discours parfois flou. Il souhaite ainsi un “pays plus indépendant et plus fort par son économie, la recherche, l’innovation, l’école, la santé” qui puissent, au terme de ce  “moment qui permet la clarification sur nos projets”, devenir “une grande puissance écologique”. 

Si les énumérations se font plus discrètes, ce sont les formules floues qui dominent. Qu’est-ce qu’une “gigafactory” ? Une “politique pour la biodiversité” ? La “planification territoriale” ? Le “bouclier tarifaire” ? Une fois encore, si c’est à la libre interprétation du spectateur, c’est que c’est mal exprimé (ou alors bien calculé). 

Trop de confusion dans les précisions ?

À l’inverse, lorsque les candidats ont cherché à être plus précis, ils l’ont souvent fait au détriment de la clarté.


TVA, FMI, PAC, MERCOSUR, RATP… Les sigles et noms propres absents du langage courant sont des ennemis de la clarté.  Il suffit de ne pas faire la corrélation entre le FMI et le Fonds Monétaire International pour être complètement perdu quand Marine Le Pen parle d’inflation. Un acronyme non expliqué, c’est une partie de l’auditoire qui est exclue.

Lorsqu’il est question des retraites, c’est là aussi le cafouillage rhétorique général.
D’un côté, Marine Le Pen prétend être claire, mais propose “entre 40 et 42 annuités” à partir du “premier emploi significatif” et un départ “entre 60 et 62 ans” qui se ferait “progressivement”. 

De l’autre, Emmanuel Macron, qui alterne sans explication entre le “je”, le “nous” et le “on”, a une position (volontairement?) floue sur la question. “On a beaucoup de progrès à faire”, “notre régime est déséquilibré jusqu’au milieu des années 2030”, “l’âge légal permet de ne pas revenir vers ces sujets-là” tout en parlant de “carrières longues”, de “pénibilité revalorisée”, et de retour au “système général pour la RATP et EDF”. 

Pourtant, la question était simple : quel âge pour la retraite ? Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup, parait-il.

Du mensonge à la raison sans modération

L’intégralité du débat a été émaillée de formules rhétoriques typiquement décriées pour leur manque de clarté. Les “c’est faux” et autres “vous mentez” sans explication qui ont fusé ci et là sont de nature à perdre une partie de l’auditoire. Ce débat a été de bonne tenue, mais l’invective ne peut tenir lieu d’arguments.


Mais à l’inverse, à de nombreuses occasions Emmanuel Macron a… donné raison à sa rivale. “Vous avez tout à fait raison”, “Vous l’avez parfaitement résumé”, “Nous sommes d’accord”... Autant de phrases qui contrastent avec le but de l’exercice : souligner leurs oppositions.

Pour clarifier

La clarté de ce débat a été à l’image de celle de la campagne présidentielle : bancale. Entre les longues tirades où l’on oublie le début de la phrase, les sigles et acronymes non expliqués, les mots flous et les appréciations contradictoires de l’adversaire, la clarté des propos n’a pas tout à fait été au rendez-vous. 

Tant que l’on continuera à faire primer les petites phrases et les invectives sur le fond du propos, on cautionnera l’exclusion de nombreuses personnes qui ne demandent qu’à consulter des contenus compréhensibles. Pourtant, avec des outils comme celui développé par U31, produire du contenu dont le fond est accessible ne tient qu’à la bonne volonté de celui qui l’écrit. Que ce soit bien clair.

Pablo Deharo Berlinzani

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A propos de l’auteur

Étudiant en Master 2 Science Politique à la Sorbonne, co-président de l’association Sorbonne Communication et reporter/chroniqueur pour Distances Inconnues sur VL Media à ses heures perdues, Pablo Deharo Berlinzani seconde désormais Morgane Hauguel dans sa direction du projet U31. On y développe une solution web capable de rendre n’importe quel contenu textuel clair et compréhensible pour tous.